Chassés-croisés entre l'Europe et les Etats-Unis :
Un An après le 11 Septembre
Discours
au Club Diplomatique de Genève. 11 Septembre 2002
Monsieur
le Président, chers amis,
Cette assemblée n'est
pas pour moi n'importe laquelle, puisqu'elle rassemble nombre
d'amis, certains de longue date, d'autres plus récents,
tous me rattachant à cette ville de Genève. Je vous
l'avoue: il fallait que cette amitié fût forte pour me
faire voyager au dessus de l'Atlantique comme je viens de le
faire en ce 11 Septembre 2002.
C'est pour moi l'occasion de faire
le point, sur l'état des relations entre l'Europe et les
Etats-Unis un an après l’un des plus grands drames
de l’histoire américaine. J'étais à Washington
le 11 septembre dernier avec mon équipe et je suis restée
aux Etats-Unis dans une ambiance assez lourde jusqu'au mois de
juin. J'ai passé huit semaines en Europe cet été.
Et je suis retournée aux Etats-Unis d'où je viens
de revenir. Je suis très frappée par une chose:
les Etats-Unis sont un pays en guerre; l'Europe n'est pas en
guerre et ne veut pas y être. Cette différence fondamentale
régit nos rapports actuels plus que toute autre.
Les événements
du 11 septembre, comme l’attaque de Pearl Harbour le dimanche
7 décembre 1941, ont réveillé un géant
endormi. La différence entre les deux époques est
qu’en 1942 le monde savait qu’il était en
guerre. En 2001 il ne le savait pas. Et d'ailleurs en avez-vous
bien pris conscience?
Donc si l’Amérique est en
guerre, peut-être est-elle dangereuse, se disent les chancelleries.
Et voici l’Europe reprise d’un accès de Realpolitik
tous azimuts qui n’a pas échappé aux planificateurs
du Pentagone.
Le 11 septembre aurait pu être l'occasion
pour l’Europe et les Etats-Unis de se rapprocher dans une
commune réaction contre le terrorisme international. Mais
même si "Le Monde" a été jusqu'à proclamer "Nous
sommes tous Américains," cela ne dura pas. Il faut bien
reconnaître que ce fut une occasion manquée. La
faute à qui? On peut s'interroger, mais sans doute serait-il
plus productif de reconnaître qu'il n'est jamais trop tard
pour bien faire et que d'une mauvaise relation telle que celle
qui s'est instaurée peuvent sortir de bonnes choses si
les parties prenantes réussissent à la gérer
convenablement.
Le fait est que l'état des relations transatlantiques,
qui était plutôt bon à la fin de la Présidence
de Bill Clinton, n'a pas été aussi tendu depuis
au moins une trentaine d'années. Même Robert Zoellick,
le négociateur commercial américain, grand connaisseur
de notre continent, a trouvé le moyen de traiter, à Pékin,
les Européens de "valets du colonialisme" (underdogs
of colonialism). Par un échange naturel de bons procédés,
le Commissaire européen Chris Patten a parlé de "unilateralist
overdrive" tandis qu'Hubert Védrine qualifiait la politique
américaine de "simpliste" alors que Tony Blair,
qui cherche désespérément à maintenir
les bonnes relations de son pays avec Washington se voyait qualifié par
la presse britannique de "caniche de la Maison Blanche".
La critique de la politique américaine en Irak en vient à dominer
la campagne électorale allemande. Dominique de Villepin
parlait lors de son premier voyage aux Etats-Unis de la nécessité d'établir
entre les deux rives de l'Atlantique un "dialogue qui soit
franc" Il semble que nous en soyons proches…
Les
raisons pour lesquelles les Européens sont perturbés
par la manière dont les Etats-Unis se conduisent dans
cette crise sont multiples. La retour de l'Amérique à un
nationalisme exacerbé qui tourne à l'unilatéralisme
alors qu'elle aurait pu prendre une voie plus multilatérale
est une de ces raisons. Presque tous les alliés des Etats-Unis
sont actuellement mécontents, en Asie, au Moyen Orient,
et en Europe. Non seulement la Maison Blanche a coupé l'Europe
et l'OTAN du processus de décision américain, mais
elle renforce l'appréhension des Européens qui
considèrent le nationalisme de la fin du XIXème
siècle comme la source de toutes les guerres et de tous
les maux qu'ils ont connu.
A l'unilatéralisme américain
s'ajoute l'exceptionnalisme par lequel le Congrès et l'Administration
américaine semblent vouloir imposer aux autres des règles
qu'ils refusent de s'appliquer à eux-mêmes, qu'il
s'agisse d'obéir au tribunal pénal international
ou de respecter les règles de l'Organisation Mondiale
du Commerce. On arrive au point où ce sont les divergences
et non les points d'accord qui définissent la relation
transatlantique, alors que nos intérêts fondamentaux
sont les mêmes, que nous sommes réciproquement les
alliés les plus fiables l'un de l'autre, les premiers
investisseurs, et les plus importantes relations commerciales.
Ensemble, nous représentons la moitié de toute
l'activité économique mondiale…
Le plus
difficile, en ces circonstances, est de distinguer ce qui relève
de circonstances qui peuvent changer rapidement; ce qui tient
du phénomène cyclique qui ramène périodiquement
des tensions entre l'Europe et les Etats-Unis; et ce qui représente
une évolution historique lourde affectant nos deux continents.
C'est ce que je veux essayer d'amorcer ici, en constatant que
s'il a bien une dérive de nos continents, en réalité,
elle met l'Europe devant ses propres responsabilités.
La dérive de nos continents
1- Elle est fonction des circonstances
actuelles, mais aussi de l'influence disproportionnée
des conservateurs américains au pouvoir.
Nombre d'analystes
optimistes avancent que les heurts tiennent plus du style et
de la rhétorique de George W Bush que de la substance
de ses politiques. Etait-il nécessaire d'annoncer péremptoirement
son refus de ratifier le protocole de Kyoto sur la protection
de l'environnement, mettant ainsi les Européens d'accord
pour soutenir ce traité alors qu'ils étaient sur
le point d'exprimer des réserves à son encontre?
George W Bush avait promis "l'humilité en politique étrangère." La
brutalité de ses prises de position a été d'autant
plus douloureuse pour les alliés. Après le 11 septembre
le "syndrome de Dallas" a couronné ce début. "Ceux
qui ne sont pas avec nous sont contre nous," a proclamé le
Président.
En réalité il y a plus dans ce
style que des apparences fortuites. Les conservateurs "durs" l'ont
emporté sujet après sujet dans l'équipe
gouvernementale. La remise en question agressive du traité de
1972 avec la Russie sur le contrôle des missiles antibalistiques
pour permettre la mise en place d'un nouveau bouclier spatial,
le refus d'approuver le tribunal pénal international et
la manière agressive d'imposer les politiques américaines
(par exemple en matière de non contrôle des-naissances)
aux pays demandant de l'aide aux Etats-Unis, l'adoption cyniquement électorale
de dispositions protégeant l'industrie sidérurgique
américaine contre les concurrents étrangers, et
le soutien massif voté aux agriculteurs en dépit
des accords commerciaux internationaux de libre-échange,
tout cela a fait plutôt mauvais effet. Les inities ont aussi
apprécié les exceptions accordées en faveur
de certains pays européens, pour les désolidariser
des autres, et éviter au besoin des sanctions qui seraient
décidées collectivement par l'Union Européenne.
Il est devenu clair que le Président n'est pas un enthousiaste
des traités internationaux, qu'il tient les conférences
internationales en piètre considération, et qu'il
entend répondre à la force par la force. Le formalisme
des Nations Unies a été trop souvent une mascarade,
dont les Etats-Unis ont été la cible favorite.
Que cela plaise on non George W Bush s’est convaincu qu’il
ne fallait pas permettre à Bagdad d'utiliser des armes
de destructions massives. Et si certains prétendent que
la route de Bagdad passe par la solution des problèmes
de Jérusalem, certains dans son équipe pensent
plutôt que c'est la route de Jérusalem qui passe
d'abord par Bagdad. Certains font remarquer que la différence
est moins entre George W Bush et son prédécesseur
qu'entre lui et son père. Défier l'Irak et contraindre
les Saoudiens à la clarté équivaut à une
déclaration présidentielle d'indépendance
filiale. A la brutalité répond la brutalité,
donc une certaine vérité. Ainsi l'Arabie Saoudite
et l'Europe sont-ils placés au pied du mur. Inconfortables.
De l’interprétation des différences
Mais
l'effet de ces circonstances s'inscrit dans le contexte d'une
dérive plus lourde en sens contraires des continents américain
et européen. En effet les différences entre les
Etats-Unis et l'Europe ont naturellement tendance à augmenter
plutôt qu'à diminuer. Alors que les Etats-Unis préconisent
un modèle économique libéral de marché,
l'Europe semble vouloir s'en tenir à un modèle
d'économie sociale de marché. Les sociétés
européennes sont entrées dans une ère "post-religieuse" qui
les rend hautement sceptiques sur les dimensions morales de la
politique étrangère, et encore plus de celles de
la politique militaire. Au contraire l'Amérique officielle
leur semble voir le monde en termes moraux et religieux relativement
simplistes, la démocratie à l'américaine,
le service religieux hebdomadaire, et le libre marché,
tenant lieu de solution à tous les problèmes. En
sens inverse nombre d'Américains considèrent l'Europe
en elle-même comme une sorte de gigantesque mouvement pacifiste.
Cela expliquerait, de leur point de vue, pourquoi une armée
européenne ne semble pas pouvoir entrer dans la réalité.
Comme l'indique Brian M. Carney du Wall Street Journal (1) "Le
projet européen a tellement bien réussi à mettre
fin à des siècles de conflits sur le continent
que beaucoup d'européens ont désormais du mal à croire à la
guerre elle-même".
Comme l'a fait remarquer Robert
Kagan dans un article retentissant (2) les Américains
semblent venir de Mars et les Européens de Venus. La culture
stratégique européenne est dominée par les
négociations, la diplomatie et les liens commerciaux ;
le droit international doit prévaloir sur l'usage de la
force, la séduction sur la coercition, et le multilatéralisme
sur l'unilatéralisme national. De son côté la
culture américaine est encore centrée sur la force.
Il apparaît progressivement que l'Union Européenne
prétend, par son existence même, à une nouvelle
mission civilisatrice poussant au multilatéralisme et à la
recherche d'un ordre international commun. Pour cette Europe,
un traitement maladroit de l'affaire irakienne par les Etats-Unis
pourrait constituer un danger de première grandeur. La
justification de la nouvelle doctrine de frappe préventive
du President Bush ne saurait être que collective, et en
aucun cas unilatérale. Nombre de dirigeants américains
actuels voient cependant dans l'appel de l'Europe à des
solutions internationales un moyen déguisé d'exercer
un véto sur les décisions américaines. En
réalité les Etats-Unis et l'Europe souffrent d'avoir
tiré des conclusions complètement inverses du dernier
demi-siècle. Les Etats-Unis sont devenus une super-puissance.
Et l'Europe a trouvé la paix. C'est le contraire…
Perspectives
historiques
Enfin, dans une perspective historique, il faut
se souvenir que les Etats-Unis ont toujours été réticents à s'engager
en Europe. Ils ne font guère confiance au vieux continent.
L'insécurité nationale était au cœur
du discours d'adieu de George Washington, le premier Président
des Etats-Unis, lorsqu'il mit en garde pour toujours son pays
contre des engagements en Europe qui seraient dangereux. Et lorsqu'au
début du XXième siècle les Etats-Unis se
sont engagés en Europe ils l'ont fait dans l'esprit de
George Washington en termes de"temporary alliances for extraordinary
emergencies": des alliances temporaires pour des urgences
extraordinaires. La démobilisation fut rapide après
la première guerre mondiale. Et les Etats-Unis échouèrent à créer
l'alliance avec la Grande-Bretagne et la France qui aurait pu
empêcher la montée de l'Allemagne dans les années
suivantes. Le sénat américain ne mit jamais aux
voix le traité tripartite qui avait été négocié,
englué qu'il était dans les discussions qui aboutirent
au refus de la Société des Nations. Il fallut ensuite
Pearl Harbour pour que les Etats-Unis entrent en guerre, ce qui
ne les conduisit pas sur le continent européen avant ..1944.
Le même processus recommença après la seconde guerre
mondiale. C'est Winston Churchill, et un groupe dynamique de
l'élite américaine, qui réussirent à convaincre
le peuple des Etats-Unis de ne pas se retirer d'Europe de peur
du danger communiste. Mais les Etats-Unis, lorsqu'il s'agit de
s'engager en Europe, ou d'accepter la perspective d'une puissante
union de l'Europe, ont en tête que français et britanniques
ont fait équipe contre eux dans la crise de Suez en 1956,
et que le jeu des alliances avec les pays européens à l'ONU
ne leur sont pas toujours favorables.
Pour certains historiens
du temps présent, nous serions actuellement au tournant
de l'aprés-guerre froide. Ce n'est pas l'ancien Président
Bush qui serait le dernier président américain
de la période de la guerre froide, mais Bill Clinton,
car il était encore internationaliste, atlantiste et multilatéraliste,
toutes qualités requises pour venir à bout de la
guerre froide. (3) Alors qu'à cette époque la politique était
encore dominée par les nécessités de l'économie,
qui supposaient la meilleure coordination internationale possible
et poussaient dans le sens de la globalisation, dans la nouvelle
réalité de la présidence de George W Bush
la sécurité domine l'économie. A l'occasion
de la crise des Balkans, l'Union Européenne a demandé un
rôle croissant sans vraiment pouvoir l'exercer, et la France
s'est rapprochée de facto de l'organisation militaire
intégrée de l'OTAN.
Les nouvelles règles
de notre époque
Les nouvelles règles de notre époque.
Règle numéro 1- Lorsque les Etats-Unis et l'Europe
agissent ensemble sur la scène internationale ils obtiennent
ce qu'ils veulent; lorsqu'ils agissent en ordre dispersé ils
n'y parviennent pas, ou mal. Règle numéro 2- Les
Européens, lorsqu'ils sont désunis, ne comptent
pas.
Partant de là, l'Europe devrait –et c’est
un paradoxe- remercier le Président des Etats-Unis de
la mettre devant ses responsabilités.
L’un des meilleurs
connaisseurs de l’Europe, Richard Haas, dirigeant le Policy
Planning du Département d'Etat, aimait à dire que
le pire danger qui menace l'Europe, c'est celui de devenir "irrelevant",
c'est-à-dire complètement hors de propos.
Certes
l'OTAN peut bien proclamer l'activation de l'article 5 de son
traité, sans même que les Etats-Unis le lui demandent.
Mais à la différence de ce qui s'est passé au
moment de la guerre du Golfe en 1991, désormais, du point
de vue opérationnel américain, c'est la mission
qui détermine la coalition, et non, comme par le passé et
comme les Européens le voudraient, la coalition qui détermine
la mission. L'Europe est donc prise complètement à contre-pied.
Alors que les Européens commencaient à créer
un pilier européen de défense avec l'intention
implicite de renégocier le partage des responsabilités
au sein de l'OTAN avec les Etats-Unis (qui eux s'intéressent à renégocier
le partage du fardeau) ces Européens se sont retrouvé en
pleine crise d'identité au sein d'une OTAN qui cherchait à se
redéfinir et à raccrocher péniblement les
Etats-Unis. L'épisode pourrait être salutaire s'il contribuait à redéfinir les fonctions de l'OTAN
dans un monde transformé. Mais la différence de
capacité opérationnelle entre les Etats-Unis et
l'Europe restera pour longtemps au cœur du problème
de la relation entre les deux continents.
Les Etats-Unis dépensent
environ deux fois plus pour leur défense que l'Union Européenne
tout entière (environ 300 milliards de dollars, soit 3
% de leur PNB). L'augmentation du budget de la défense
décidé en 2002, est équivalente à la
totalité du budget de la défense de la Grande-Bretagne.
Les Américains sont en moyenne d'un tiers plus riches
que les Européens, et le vieillissement plus rapide de
la population européenne par rapport à celle des
Etats-Unis est tel que la population américaine dépassera
celle de l'Europe en 2040 (elle était de la moitié en
1950). Cela ne contribuera certainement pas, dans les parlements
européens, à pousser à l'augmentation des
dépenses de défense. Les Européens sont
plutôt préoccupés par le niveau déclinant
de leurs retraites. Dans ces conditions il facile pour de grandes
voix americaines de proclamer que si l'Europe est contre la guerre,
c'est parcequ'elle s'est affaiblie au point d'être incapable
de la faire.
Il faut
l'avouer, les Européens ont bénéficié depuis
des années d'une dose excessive de sécurité gratuite.
La question est de savoir si le temps de passer à la caisse
est arrivé. Au cœur de la question de la défense
se trouve celle de l'équilibre entre le pouvoir et le
partage du fardeau. "Le Pape, combien de divisions ?" demandaient
nos rois. "L'Europe, quelle capacité d'intervention?" interrogent
les planificateurs du Pentagone.
Les Européens voudraient
partager le pouvoir sans pour autant partager les coûts.
Les Américains verraient bien que les Européens
augmentent leurs contribution sans leur céder plus de
pouvoir. D'où les "coalitions ad hoc" et la
mise en place de la guerre électronique du futur, qui
permettra de brancher facilement quiconque s'équipe sur
un système electronique central dont le cœur restera
aux Etats-Unis. Les arrières pensées économiques
et politiques empêchent actuellement les systèmes
de l'Europe et des Etats-Unis de se brancher correctement les
uns sur les autres, et pour y parvenir une double démarche
serait nécessaire par laquelle les Etats-Unis devraient
accepter certains partages tandis que l'Europe devrait mettre
une fin à sa promenade de sécurité à bon
marché. ("free ride") Si elle veut que les pouvoirs
se rééquilibrent de part et d'autre de l'Atlantique,
l'Europe ne peut éviter de faire son devoir, engager des
dépenses de défense plus importantes, et se concentrer, à tout
le moins, sur la sécurité de la région euro-méditéranéenne.
Surtout, il lui faudra aussi parler d'une voix unique, car son
propre comportement n'est pas pour rien dans l'image confuse
qu'en a l'équipe Bush.
La Maison Blanche sait ce que vaut
l’Europe, avec son potentiel important de coopération
judiciaire et policière, ses liaisons diplomatiques, sa
volonté d’aide humanitaire et sa capacité économique
et commerciale, ses réseaux financiers, et son potentiel
d’intervention mal utilisé, mais réel. Mais
elle se borne à traiter les Européens au cas par
cas, mettant chacun à contribution en fonction de ce qu’il
peut apporter, et, surtout, du temps de plus en plus réduit
qui reste disponible à Washington pour négocier
avec cette multitude d’interlocuteurs exigeants. Ce faisant
l’Amérique met l’Europe au pied du mur. A
quand sa puissante unité? A quand une utilisation
plus efficace de ses dépenses de défense et une
mobilisation plus puissante de ses capacités militaires ?
On attend pour voir. C’est dire que les Etats-Unis désormais
sont moins un obstacle à l’unité européenne
qu’un encouragement à plus de réalisme en
Europe.
Pour finir, reconnaissons toutefois que l'Europe,
si elle traverse une phase de transition difficile, n'a pas pour
autant jeté l'éponge. Les Etats-Unis n'ont pas
tort de lui reprocher l'insuffisance de ses dépenses militaires,
mais elle contribue à la sécurité internationale
avec une aide au développement et des opérations
de maintien de la paix plus importantes que celles des Etats-Unis.
Surtout, les Européens, sont en voie d'accomplir un miracle
historique en se mettant, pour la première fois dans leur
histoire, sur la voie de l'unité politique, économique
et militaire à l’échelon de leur continent.
Dès lors il faut bien reconnaître que les conflits
qui l'opposent aux Etats-Unis ne font pas que refléter
les vicissitudes de la politique du jour, mais aussi des conflits
d'intérêts économiques et commerciaux fondamentaux
alors que l'Union Européenne est en train de devenir elle
aussi une superpuissance. L'économie européenne
est deux fois plus importante que celle du Japon, et sa taille
est telle que sa croissance, si modeste soit-elle, génére
l'équivalent d'une économie taiwanaise chaque année….
La probabilité est qu'en définitive les Etats-Unis
et l'Europe ne pourront rien faire d'autre que de s'entendre
et d'augmenter leur coopération au lieu de la diminuer. A propos
de l'Irak, les dirigeants Américains ont tendance à penser
penser que leurs alliés se rallieront à la victoire.
Entre alliés européens et américains on
devrait pouvoir tout se dire. Mais à la condition de ne
pas remettre en question les motivations fondamentales qui sont
les nôtres.
Alors pourquoi vous ai-je parlé de l'épreuve
de la vérité. Parce que je me souviens que François Mitterrand,
dont le monde admirait l'intelligence politique, sinon la franchise,
aimait à dire qu'en politique,"il est important de
se garder de lever les ambigüités" Le culte de l'ambigüité,
ce n'est pas la méthode Bush. Par conséquent, alors
qu'elles sont à un tournant, les relations entre l'Europe
et les Etats-Unis sont soumises à de multiples épreuves
de vérité qui créent des tensions redoutables.
En définitive, les arbitrages seront toutefois déterminés
par les faits. Il y aura ce qui marche, et ce qui ne marche pas.
Ainsi les Etats-Unis et l'Europe sont-ils en train
de découvrir
les limites de leurs propres politiques. Comme l'ont dit aussi
bien Hubert Védrine que Dominique de Villepin, le plus
grave danger qui menace le monde, bien plus que celui de l'hyper-puissance
américaine, est celui de l'anarchie internationale. Pour
y parer les Etats-Unis et l'Europe, Mars et Vénus d'Occident,
sont moins en opposition que complémentaires. Les puissants
Etats-Unis recherchent la paix, et la pacifique Europe une certaine
puissance, sous une forme nouvelle qui ne soit plus anachronique.
S'ils veulent y parvenir, il leur faudra éviter de s'épuiser
en querelles fratricides. Car, vous l'avez surement remarqué,
silencieusement l'Asie attend….
J.G.
(1)Brian M. Carney.
EU-US Differences Have Evolved Over Half a Century. European
Affairs. Summer 2002 Volume 3 Number 3 (2) Robert Kagan Power
and Weakness Policy Review Juin-Juillet 2002 (3) Gerard Baker,
Chief US Commentator and Associate Editor for the London Financial
Times. European Affairs Summer 2002 Volume 3 Number 3 |